” Il s’agit dans tous les cas de créer des espaces polymorphes, indifférents, modulables (le même processus est d’ailleurs à l’œuvre dans la décoration intérieure : aménager un appartement en cette fin de siècle, c’est essentiellement abattre les murs pour les remplacer par des cloisons mobiles — qui seront en fait peu déplacées, parce qu’il n’y a aucune raison de les déplacer ; mais l’essentiel est que la possibilité de déplacement existe, qu’un degré de liberté supplémentaire ait été créé — et supprimer les éléments de décoration fixes : les murs seront blancs, les meubles translucides.) Il s’agit de créer des espaces neutres où pourront se déployer librement les messages informatifs-publicitaires générés par le fonctionnement social, et qui par ailleurs le constituent. Car que produisent ces employés et ces cadres, à La Défense rassemblés ? A proprement parler, rien ; le processus de production matérielle leur est même devenu parfaitement opaque. Des informations numériques leur sont transmises sur les objets du monde. Ces informations sont la matière première de statistiques, calculs ; des modèles sont élaborés, des graphes de décision sont produits ; en bout de chaine des décisions sont prises, de nouvelles informations sont réinjectées dans le corps social. Ainsi, la chair du monde est remplacée par son image numérisée ; l’être des choses est remplacé par le graphique de ses variations. Polyvalents, neutres et modulaires, les lieux modernes s’adaptent à l’infinité des messages auxquels ils doivent servir de support. Ils ne peuvent s’autoriser à délivrer une signification autonome, à évoquer une ambiance particulière ; ils ne peuvent ainsi avoir ni beauté, ni poésie, ni plus généralement aucun caractère propre. Dépouillés de tout caractère individuel et permanent, et à cette condition, ils seront prêts à accueillir l’indéfinie population du transitoire. “
” Profondément infectée par le sens, la représentation a perdu toute innocence. On peut désigner comme innocente une représentation qui se donne simplement comme telle, qui prétend simplement être l’image d’un monde extérieur (réel ou imaginaire, mais extérieur) ; en d’autres termes : qui n’inclut pas en elle-même son commentaire critique. L’introduction massive dans les représentations de références, de dérision, de second degré, d’humour a rapidement miné l’activité artistique et philosophique en la transformant en rhétorique généralisée. “