PLATFORM/BARTHES Roland Le Degré Zéro De L’écriture (1953)
PLATFORM / BARTHES Roland Le Degré Zéro De L’écriture (1953)
200116

Hébert ne commençait jamais un numéro du Père Duchêne sans y mettre quelques « foutre » et quelques « bougre ». Ces grossièretés ne signifiaient rien, mais elles signalaient. Quoi ? Toute une situation révolutionnaire. Voilà donc l’exemple d’une écriture dont la fonction n’est plus seulement de communiquer ou d’exprimer, mais d’imposer un au-delà du langage qui est à la fois l’Histoire et le parti qu’on y prend.
Il n’y a pas de langage écrit sans affiche, et ce qui est vrai du Père Duchêne, l’est également de la Littérature. Elle aussi doit signaler quelque chose, différent de son contenu et de sa forme individuelle, et qui est sa propre clôture, ce par quoi précisément elle s’impose comme Littérature. D’où un ensemble de signes donnés sans rapport avec l’idée, la langue ni le style, et destinés à définir dans l’épaisseur de tous les modes d’expression possibles, la solitude d’un langage rituel. Cet ordre sacral des Signes écrits pose la Littérature comme une institution et tend évidemment à l’abstraire de l’Histoire, car aucune clôture ne se fonde sans une idée de pérennité ; or c’est là où l’Histoire est refusée qu’elle agit le plus clairement ; il est donc possible de tracer une histoire du langage littéraire qui n’est ni l’histoire de la langue, ni celle des styles, mais seulement l’histoire des Signes de la Littérature, et l’on peut escompter que cette histoire formelle manifeste à sa façon, qui n’est pas la moins claire, sa liaison avec l’Histoire profonde. 

Hébert ne commençait jamais un numéro du Père Duchêne sans y mettre quelques « foutre » et quelques « bougre ». Ces grossièretés ne signifiaient rien, mais elles signalaient. Quoi ? Toute une situation révolutionnaire. Voilà donc l’exemple d’une écriture dont la fonction n’est plus seulement de communiquer ou d’exprimer, mais d’imposer un au-delà du langage qui est à la fois l’Histoire et le parti qu’on y prend.
Il n’y a pas de langage écrit sans affiche, et ce qui est vrai du Père Duchêne, l’est également de la Littérature. Elle aussi doit signaler quelque chose, différent de son contenu et de sa forme individuelle, et qui est sa propre clôture, ce par quoi précisément elle s’impose comme Littérature. D’où un ensemble de signes donnés sans rapport avec l’idée, la langue ni le style, et destinés à définir dans l’épaisseur de tous les modes d’expression possibles, la solitude d’un langage rituel. Cet ordre sacral des Signes écrits pose la Littérature comme une institution et tend évidemment à l’abstraire de l’Histoire, car aucune clôture ne se fonde sans une idée de pérennité ; or c’est là où l’Histoire est refusée qu’elle agit le plus clairement ; il est donc possible de tracer une histoire du langage littéraire qui n’est ni l’histoire de la langue, ni celle des styles, mais seulement l’histoire des Signes de la Littérature, et l’on peut escompter que cette histoire formelle manifeste à sa façon, qui n’est pas la moins claire, sa liaison avec l’Histoire profonde.