LA FACE CACHÉE perception cognitive du désintérêt
Nous voyons uniquement ce que nous voulons voir ou uniquement ce que l’on veut nous faire voir. Indéniablement, les visions de chacun s’influencent. Elles peuvent être dirigées, cadrées, orientées par des modes et tendances souvent éphémères ou futiles. C’est ainsi que, conduit par ses vaines quêtes de l’esthétique ou de la prospérité, l’homme moderne réduit sa perception réelle de l’environnement qu’il habite.
Cette recherche s’attache à éveiller l’attrait pour des lieux désintéressés, et ainsi, à révéler leur qualité intrinsèque, aussi pauvre et insignifiante qu’elle puisse paraître. De cette affection pour l’humilité de ce qui nous entoure pourra alors naître des choses nouvelles et surprenantes, car insoupçonnées.
Ces photographies appartiennent toutes au paysage industriel, ce monde qui ceint nos villes, mais avec lequel les interactions sont rares alors même qu’il est le vecteur de leur dynamisme. Ordonnée au sein de ses strictes limites grillagées, l’industrie n’est guère amicale. Elle est violente, brutale, repoussante,… À l’image d’un organisme, elle est en perpétuelle mutation, se transformant avant de disparaître, laissant place à de nouveaux usages, ou plus solennellement, à la ville.
L’indifférence à son égard est grande, elle est pourtant le fruit de l’homme, érigée pour être à son service. À l’exception des puissantes usines d’antan, aujourd’hui enlacées dans le tissu urbain, les cabanons métalliques de nos jours et leur terrain vague sont quasiment éphémères, leur conception répondant aux besoins immédiats de l’économie qui dicte la durée de leur courte existence. Pragmatiques ensembles, ces espaces offrent aux regards leur présence immédiate et exprime la fragilité de leur construction.
Formé par les logiques d’efficacité,
de fonctionnement et d’optimisation, il est
surprenant de se rendre compte de la
beauté émanant de la rigueur avec laquelle
ils se constituent. La pureté géométrique,
l’assemblage des couleurs, la progression
des formes évoquent à chaque fois leur
matière brute.
L’immédiateté de ses lieux décrit ainsi la
rudesse de leur caractère.
Quant au point de vue proposé, celui du drone, c’est un regard nouveau. Physiquement inconcevable pour l’œil humain, il abstrait les formes et les préjugés, ouvrant de nouvelles perspectives. C’est le moyen d’observer ces lieux qui se protègent toujours fermement face aux intrusions. Le drone, en nous offrant ce regard volé par-dessus les enceintes, nous livre l’intimité de leurs entrailles. Cette mise à nu est alors l’extraordinaire occasion de découvrir la beauté particulière de ce qui s’y cache. Finalement, ces compositions d’une prosaïque richesse ainsi dévoilées ne pourraient-elles pas susciter une émotion similaire à celle de la découverte d’une belle et grande propriété? Il est également difficile de la pénétrer, mais derrière ses imposantes haies, ce qu’elle renferme est pourtant d’une majesté évidente.
Ce travail a ainsi pour but de stimuler une ouverture vers l’invisible, d’ouvrir les limites de la banalité vers la quête du sublime, car l’intérêt d’un sujet ne dépend que du regard de son spectateur.
DAVID BARD
David Bard est un jeune architecte suisse.
Ces images s’inscrivent dans la continuité de sa recherche théorique et architecturale sur l’éthique brutaliste, questionnant nos rapports aux éléments fondateurs de l’art de bâtir. La photographie est pour lui un moyen de révéler la force expressive de ses réflexions sur la matière brute et l’immédiateté.